Bien que les obligations n'aient pas protégé les portefeuilles multi-actifs sur le premier semestre 2022, nous estimons qu’elles pourront retrouver leur statut de valeur refuge alors que l'inflation devrait ralentir.
Stewart Edginton, Head of EMEA Managed Solutions
Le premier semestre de 2022 a été le pire début d'année pour un portefeuille équilibré depuis la crise financière mondiale de 2008 (tableau 1). Les cycles de marché comportent généralement leur lot de surprises, comme le montrent les événements récents. Cette fois-ci, la cause principale est l'inflation, que beaucoup d'entre nous ont sous-estimée. Avec le recul, il est facile de comprendre comment les événements géopolitiques ont amplifié le problème.
Tableau 1 : Quelle année jusqu’ici ! Les baisses enregistrées par les portefeuilles multi-actifs sont proches des niveaux de repli de 2008
Les matières premières, et l’énergie en particulier, sont la seule grande classe d'actifs qui a progressé cette année. Le marché avait de bonnes raisons de sous-pondérer cette thématique - notamment la COP 26 en novembre dernier, qui a fait progresser l'effort mondial de réduction de l'empreinte carbone de la planète. Avec la popularité croissante de l'investissement ESG, le secteur de l'énergie avait été laissé pour compte. Pourtant, les événements récents ont montré que la transition vers de nouvelles sources d'énergie risque d'être longue et laborieuse. En conséquence, le vaste univers des matières premières devrait rester sur les radars des investisseurs pendant un certain temps.
La volatilité des marchés actions a été particulièrement élevée cette année. Les investisseurs prudents en ont vraiment ressenti l'impact en raison des pertes enregistrées par les obligations. Avec la hausse des taux, la valeur des obligations a baissé. En outre, les spreads des obligations d'entreprise se sont élargis, car les investisseurs exigent un rendement plus élevé en contrepartie du surcroît de risque.
Résultat : les obligations de grande qualité1 ont perdu 9 % sur les six premiers mois de 2022 et les portefeuilles prudents ont généralement une allocation plus élevée en obligations. Selon Morningstar, la stratégie prudente médiane en dollars américains a perdu 11,2 % au premier semestre2 2022.
Ne luttez pas contre la Réserve fédérale
L'incertitude entourant la géopolitique et les prix du pétrole reste élevée. L'inflation restera-t-elle obstinément élevée ou les banques centrales occidentales pourront-elles atteindre leurs objectifs de 2 % ? En période d'incertitude, il est généralement préférable de se concentrer sur ce que l'on sait, puis de dimensionner l'exposition aux investissements en fonction des probabilités attribuées aux différents résultats.
Les valorisations des actifs risqués sont clairement plus raisonnables aujourd'hui qu'au début de l'année, à la suite de la baisse significative des actions et des obligations. Cette corrélation positive explique pourquoi les portefeuilles multi-actifs classiques n'ont pas protégé le capital cette année. Comme nous l'avons observé lors de la crise financière, les valorisations peuvent continuer à baisser et il est vain d'essayer de prévoir le moment où elles atteindront le creux de la vague - on ne le sait qu'après coup. Mais nous ne sommes pas sous le même paradigme que lors de la crise financière. À l'heure actuelle, les bilans des entreprises et la situation financière des particuliers sont dans un état satisfaisant en comparaison avec le passé, et même avec un certain ralentissement économique, les offres d'emploi sont nombreuses à mesure que les chaînes d'approvisionnement se reconstituent. L'environnement macroéconomique actuel est très différent de celui de l'époque.
Selon un vieil adage en matière d'investissement, « Ne luttez pas contre la Réserve fédérale ». La dernière déclaration du président Jerome Powell était claire : les responsables de l’élaboration des politiques viseront à réduire l'inflation au détriment de la croissance. Au cours des dernières semaines, les marchés ont commencé à intégrer ce scénario (graphique 2).
Graphique 2 : Les marchés obligataires anticipent une baisse de l’inflation
Ces signaux provoquent peut-être un changement de régime et nous prévoyons une évolution dans le leadership au sein des classes d'actifs au second semestre, avec un retour des obligations. Comment pouvons-nous croire ces anticipations après un premier semestre aussi difficile et pourquoi la baisse de cette classe d'actifs ne pourrait-elle pas se poursuivre ? Prenons les bons du Trésor à 10 ans pour illustrer ce qui s'est passé cette année (graphique 3). Pour les portefeuilles libellés en euros, nous pourrions les remplacer par les Bunds à 10 ans.
Graphique 3 : Remontée des obligations – rendements des bons du Trésor à 10 ans
Le rendement a commencé l'année autour de 1,5 % et a ensuite atteint un point haut proche de 3,5 % avant de retomber à environ 3 %. Certains investisseurs estiment que le taux devrait passer à 4 % voire plus. Mais n'oublions pas que le taux à un an est en fait la moyenne des taux de base sur cette période. Il est possible que les taux de base atteignent ces niveaux plus élevés pendant une courte période, mais les mouvements récents du marché suggèrent que cela serait un facteur de récession (tout comme le marché l'a indiqué au quatrième trimestre 2018, dernière fois où la Réserve fédérale a adopté une politique de durcissement).
Pendant les récessions, les taux ont tendance à baisser - la Réserve fédérale réagit et assouplit sa politique. Choisir des obligations à plus long terme peut donc vous protéger contre ce scénario de récession. En effet, un retour à un niveau de 2 % pour les bons du Trésor à 10 ans pourrait entraîner des rendements positifs à deux chiffres.
Nous faisons confiance à l'estimation du « taux neutre » de la Réserve fédérale. Il s'agit du niveau d'équilibre des taux d'intérêt qui permet à l'économie de progresser au rythme de la croissance tendancielle - ni expansionniste ni contractif. Nous pouvons débattre du bon niveau du taux neutre, mais la Réserve fédérale l'estime à 2,4 %. Les bons du Trésor américain à 10 ans se négociant à 2,8 %, le marché nous dit que ces obligations ont un potentiel d'appréciation du capital (la valeur des obligations augmente lorsque les rendements baissent). Outre le fait que le niveau absolu des intérêts est plus attrayant, ce niveau offre désormais la possibilité de protéger les portefeuilles contre le ralentissement de la croissance. Lorsque le rendement s’élevait à 1,5 % au début de l'année, il était inférieur au taux neutre et nous connaissons l’issue. Nous sommes à présent au-dessus du taux neutre, avec un retour du potentiel de corrélation négative, ce qui signifie que les portefeuilles multi-actifs peuvent recommencer à fonctionner.
Protéger les portefeuilles et générer un rendement supplémentaire
Comment pouvons-nous mettre en œuvre ces points de vue dans les portefeuilles ? Le point de départ doit être un scénario de base. Nous estimons que la Réserve fédérale parviendra à opérer un atterrissage en douceur, mais selon nous, le risque que sa politique restrictive provoque une récession a augmenté de 40 % à 45 %. L'incertitude et le risque de pertes extrêmes sont élevés. Compte tenu du scénario que nous avons exposé pour les obligations, nous pensons que les obligations de grande qualité représentent une valeur raisonnable dans un scénario d'atterrissage en douceur (nous estimons que les bons du Trésor à 10 ans se négocieront autour de 2,5 % au milieu de l'année prochaine). Mais en cas de croissance inférieure aux prévisions, ce taux baisserait, ce qui produirait des rendements plus élevés pour les obligations de grande qualité.
Au premier semestre de cette année, l'un des seuls moyens pour protéger les portefeuilles en termes nominaux était de détenir des liquidités. À mesure que le cycle évolue, passant d'une inflation élevée à une croissance plus lente, les investisseurs en quête d'une certaine protection peuvent détenir des obligations de grande qualité, car elles permettent de réaliser des plus-values lorsque la croissance ralentit (notamment après un cycle de hausse des taux d'intérêt). Cette allocation devrait également signifier qu'un portefeuille multi-actifs peut mieux se défendre contre la volatilité des actions qu'il ne l'a fait au premier semestre. D’ailleurs, notre équipe du Chief Investment Office a augmenté la duration des titres de qualité au fur et à mesure de la hausse des taux.
De même que le marché était sous-pondéré sur l'énergie au début de l'année, il est maintenant sous-pondéré sur les obligations de grande qualité, ce qui peut accroître les probabilités de hausse des rendements dans un scénario de ralentissement de la croissance. N'oublions pas que les portefeuilles qui penchent trop en faveur d’un scénario inflationniste « luttent contre la Réserve fédérale ».
1 Source : Bloomberg Finance L.P. au 30 juin 2022. 60/40 correspond à 60 % MSCI World / 40 % US Agg. Rééquilibrage trimestriel du portefeuille.
2 Source : MorningStar - GAP UCITS Peer Group Performance Quarterly au 8 juillet 2022